Quand les femmes du Nord lançaient la mode en occident - R. Cuvelier

En visite dans notre région au début du XIVe siècle, la reine de France,Jeanne de Navarre, s’écria en voyant les robes des dames du temps jadis de chez nous : “ Je croyais être ici la seule reine et j’en aperçois six cents ! ” Le roi Philippe Le Bel avait pourtant décrété que nul bourgeois, nulle bourgeoise ne portera de vair, de gris et d’Hermine.

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Un siècle plus tard, les peintres Van Eyck, Christus Bouts ou Vander Goes en témoignent : les femmes de nos provinces septentrionales inventent, lancent la mode en Europe. La Flandre, l’Artois, le Hainaut, la Picardie, sous le sage gouvernement des ducs de Bourgogne, dominent économiquement et culturellement en Occident.

Les dynasties bourgeoises des négociants-échevins comme les Van den Pytte à Lille, Boinebroke à Douai, Wareghien, Hangowart, Le Borgne d’Arras, Sandrat, Collart, Blondiel, Andrefroit, Cuteneur, Bleharris, Hurel à Valenciennes ou Borluut, Van der Meer à Gand, achètent, car nos moutons ne suffisent pas, les laines du Lincolnshire, du Cumberland et du Northumberland à l’Angleterre. Nos tisserands et nos foulons transforment cette matière première en produits finis qui sont revendus à la Russie, à l’Espagne et même à l’Orient et à l’Angleterre !

Cette prospérité provoque l’éclosion des meilleurs artistes et artisans, peintres, miniaturistes, ciseleurs, émailleurs, décorateurs, tapissiers, et bien sûr tailleurs et couturières. A la Cour de Bourgogne, tout est splendeur et magnificence. Au mariage de Philippe Le Bon et d’Isabelle de Portugal en 1430, à la fondation de la Toison d’Or, au repas du Faisan à Lille, en 1454 au mariage de Marie de Bourgogne en 1477, les dames arrivent dans des litières tendues de drap d’or, traînées par des chevaux caparaçonnés de drap d’argent comme Marguerite d’York à Bruges le 3 juillet 1468, la chevelure couronnée de diamants. Aux tournois de l’Epinette à Lille, les bourgeoises sont vêtues de robes de soie brochées d’or, de damas, de satins, de fourrures précieuses. Ce luxe est souvent condamné par l’église, comme ce carme Thomas Connecte, venu de Cambrai, qui dresse les enfants à arracher les hennins, ces immenses coiffes, “ véritables cornes du diable ” de la tête des lilloises. Le grand humaniste Erasme, dans l’Eloge de la Folie, sera plus philosophe : “ Les femmes, avec leurs joues toujours lisses, leur voix toujours douce, leur tendre peau, ont pour elles les attributs de l’éternelle jeunesse ; d’ailleurs, que cherchent-elles en cette vie, sinon plaire aux hommes le plus possible, n’est ce pas la raison de tant de toilettes, de fards, de bains, de coiffures, d’onguents et de parfums, de tout cet art de s’arranger, de se peindre, de se faire le visage, les yeux et le teint ? ”

C’est ce don de folie qui leur permet d’être à beaucoup d’égards plus heureuses que les hommes.


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